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                                Les Guerres Theologiques Philosophiques de la Fin de l'Histoire


Ecrits, oeuvres et conférences mystiques de l'essayiste orthodoxe Jacques Perrin




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Conférences mystiques de l'essayiste orthodoxe Jacques Perrin

à Carluc en Luberon des 17 et 31 mai 2025 à renouveler


renseignements : voir la partie conférences de la page d'accueil du site www.cahiersresurgences.eu



Nous présentons ici un article de préparation à cette conférence.


18/06/2025

L'ouvrage de Gustave Corçào, Le Siècle de l'Enfer (Editions Sainte-Madeleie -du Barroux-, 1994, mais écrit dans les années 1970), qui va servir d'appui pertinent à cet article, s'avère en effet symptomatique, exemplaire d'un noeud crucial de la crise au XXe s., non seulement du catholicisme mais du christianisme au sens large et même du spiritualisme ; ce noeud crucial concernant ce que des peuples, dans la part sincère sinon ardente d'entre eux, peuvent, doivent encore espérer d'une certaine association ou coexistence harmonieuse, pérenne, des pouvoirs politiques nationaux et des croyances populaires, leurs cadres cléricaux, sacerdotaux ; espérer du point de vue du respect paisible de leurs ancestrales croyances et coutumes.

Un gigantesque malentendu, pour ne pas dire aveuglement volontaire, n'a-t-il pas pris possession à ce sujet des sentiments et de l'état d'esprit de nos peuples ?

On peut admettre qu'en nombre de pays et diversement cette association harmonieuse cléricalo-nationaliste a perduré jusqu'à l'invasion dé-civilisatrice généralisée au tournant des XIXe et XXe siècles, même si elle s'effilochait de plus en plus.

Cette coexistence en voie de désagrégation n'autorisait-elle pas non seulement de porter légitimement ses espoirs sur son action naturelle en cas de difficulté mais même d'ignorer la menace de certains maux, en tout cas d'en ignorer la véritable profondeur ou nature, tant la maternité bienveillante, protectrice de cette "synergie" sacerdotale étatiste allait de soi ?

Ce qui devait changer, advenir en fait, au tournant du XIXe au XXe s., c'est justement la perte, la disparition de fin de cycle de cette légitimité d'espoir inconditionnel et par conséquent, hélas ! l'installation d'une grande partie des peuples et de leur caste, leur prêtrise dirigeante, dans un refus plus ou moins avoué d'entériner cette disparition ; refus qui allait immanquablement déboucher sur un paroxysme aigu sinon infernal de malentendus, d'aveuglement. La démarche de l'ouvrage de Corçào est typique de ce malentendu.

Pour ce qui est de la France catholique, l'ensemble de nos catholiques en furent, en sont victimes, quoiqu'ils aient réagi de manière diverse. Progressisme et intégrisme, à bien des égards, ne sont que deux réactions possibles à cette crise. Dans le cas de Corçào, représentatif à ce titre de l'état d'esprit des catholiques intégristes, il ajoute au sentiment, à son corps défendant, de cet énorme malentendu, une autre facette à ce malentendu : celle de refuser de voir que tous les catholiques en pâtissent comme lui avec seulement des différences de variété mineures. Dans cette surenchère d'aveuglement, l'analyse désespérée de notre brésilien est d'autant plus poignante qu'il la concentre durement autour d'un philosophe, de fait capital pour l'évolution du catholicisme : Jacques Maritain ; poignante et touchante parce qu'il a aussi aimé et suivi par le passé Maritain comme guide de jeunesse. Il flotte donc à la fois un air de tendresse, de gâchis d'époque, de regrets et d'amour blessé sur cette introspection au parfum mélancolique au soir d'une vie bien remplie.

On peut deviner que Corçào, s'il revient sans cesse sur Maritain, assouvit par là quelque rancune due à une vieille blessure, une déception ; en même temps, il s'interroge sur le bien fondé de cet assouvissement. Le propre de cette attitude générale d'aveuglement de nombreux catholiques tient aussi en effet chez eux à la fabrication incessante de quelque alibi de compensation, de justification ; en clair la recherche de boucs émissaires contre lesquels mener une guerre spirituelle féroce.


Cela se remarque entre autres, chez Corçào, dans un passage, p. 555, où, rendant compte d'une analyse de Maritain, il s'exprime ainsi à deux reprises : "où, quand" ("qui" est sous-entendu, en ce cas). Une telle exigence impérative d'avoir à répondre, de désigner, est assez typique d'un rigorisme intégriste accusateur. Le moins qu'on puisse dire, c'est que Maritain n'y tombe pas, n'en a pas donné l'exemple et s'en voit même plutôt reprocher la carence. Par contre, Corçào, intégriste, jette son dévolu comme boucs émissaires, ennemis absolus, sur EMMANUEL MOUNIER, les progressistes cathos sensibles à trouver quelque accord avec les communistes et, bien sûr, les communistes eux-mêmes. D'ailleurs, de même que Corçào reprend à plusieurs reprises, leitmotiv essentiel de sa démarche, l'idée d'une désinformation, d'un ABUS DU PAPE PAR SON ENTOURAGE, de même tendrait-il à suggérer l'idée d'une quasi exploitation de Maritain par Mounier. Il ne persiste pas cependant, sachant que leur coopération fut limitée. Ce qui saute aux yeux dans son ouvrage, à chaque fois qu'il semblerait qu'on s'envole enfin vers la découverte du motif de cette crise de l'Eglise, c'est de se retrouver seulement, en ce qui concerne les causes internes, Eglise et Maritain, avec d'une part ce leitmotiv d'un pape décidément facile à abuser et d'autre part, parallèlement, l'autre leitmotiv de "l'immaturité" du "pauvre Jacques", sa "docilité", lesquelles, chez Maritain, par contre seraient coupables : deux poids, deux mesures !

Page 385, Corçào rapporte un discours à la radio de Jacques Maritain en 1939 pour le décès de Pie XI, où notre philosophe rend hommage à ce pape dont il a tant souffert. Notre brésilien rappelle aussi, p. 366, que Maritain tenait impérativement à vivre en union avec l'Eglise, à sentir avec elle, etc. ; curieux, d'ailleurs, d'en pointer la remarque, pour un intégriste ! Il reproche à plusieurs reprises à Maritain des explications passe-partout comme première tentative de compréhension de la crise de l'Eglise. Comme si Maritain, conscient sans se l'avouer, de la responsabilité moindre, secondaire, de certaines personnalités et de certaines causes, ne voulait pas les charger davantage. Corçào n'aurait-il pas dû être amené au constat que lui-même, comme Maritain, comme beaucoup de catholiques, était à vrai dire victime de la même grave défaillance interne du catholicisme et que chacun y répondait à sa manière, selon sa situation ; s'y aveuglait, la justifiait à sa manière tout aussi bien. Au lieu de s'associer pour lutter contre la source principale de leurs maux, tous les acteurs de ce drame en sont venus à guerroyer entre eux, à opposer entre eux les différents aspects du catholicisme meurtris par la crise ; bref une véritable guerre spirituelle civile en catholicisme, se prolongeant dès le début en guerre également politique puisque cette crise, nonobstant son apparence doctrinale, résultait d'un cas d'application politique de la défaillance interne principielle du catholicisme.


Aucun des acteurs de ce drame ne mit véritablement en cause cette défaillance interne ; on désigna bien sûr la raison doctrinale majeure : l'athéisme de Maurras ; chaque acteur au début interrogea à sa manière, plus ou moins franche ou feutrée, le bien fondé d'une décision apparemment doctrinale mais ne concernant en fait qu'une organisation et une activité politiques. Pour finir, chacun se contenta de tourner autour du noeud crucial de la contradiction des attributs de l'église romaine, sans y toucher. Corçào cependant, p. 553, aura cédé à la désignation de l'un des autres aspects majeurs de ce noeud crucial, c'est-à-dire la responsabilité de "la foule immense (...) de ceux qui ne s'en font pas". Certes, à n'en pas douter, elle pèse d'un poids sinon égal, du moins comparable à celle de l'institution ecclésiastique. Mais la désigner elle seule d'un doigt accusateur, n'est-ce pas s'assurer de passer un mauvais quart d'heure au moment de se présenter au Jugement Dernier.

On remarquera que si Jacques Maritain, désireux de sentir et vivre pleinement avec l'Eglise, se sera cru obligé, comme Corçào plus tard, de ne pas désigner du doigt la constitution de l'église romaine, en foi de quoi ce sera sa manière d'en être la victime, il n'aura pas non plus chargé la responsabilité des autres acteurs, à la différence de certains réflexes intégristes.


Un épisode cependant interroge à propos de Jacques Maritain, Corçào le relève p. 274 : la proposition maritainienne de distinction entre la Personne et le personnel de l'Eglise dans son ouvrage De l'Eglise du Christ. Quel rapport précis notre philosophe posait-il entre cette distinction et celles impliquant la définition de 1870 ? Voulait-il en douce lancer l'idée de faire l'impasse sur la définition de 1870 ? Cette distinction rappelle d'ailleurs fort bien, avec d'autres mots, les vieilles distinctions qui avaient permis de sauver l'autorité de l'Eglise en cas de crise. Néanmoins, Maritain s'est efforcé, et il était bien dans son rôle pour cela, de caractériser d'une manière plus philosophique ou théologique générale ces maux, ces guerres eschatologiques du XXe s. et il y a pertinemment réussi. Corçào le reconnaît lui-même pour certains de ses ouvrages des années 20-30. Il n'est critique que pour Humanisme Intégral (1936) et le dernier, Le Paysan de la Garonne (1965). Pourtant, on y retrouve les grandes lignes principales de la réflexion de Maritain, même sous de nouveaux noms, tels "logophobie, idéosophie", c'est-à-dire les principes eschatologiques originels de l'érection de la faille de l'église romaine.

Si l'on prend en compte l'attitude plus personnelle de Jacques Maritain dans la crise de l'Action Française 1926-27, il apparaît et Corçào le relève d'ailleurs p. 273, que notre philosophe, dans les premiers mois, coincé par sa situation de philosophe catholique désireux de vivre en union avec l'institution ecclésiale, n'hésita pas cependant à s'aventurer dans une solidarité difficile avec Maurras, jusqu'à trouver "humainement légitime" son "non possumus" ; si regretté ensuite, paraît-il, par le martégal. Après la rupture Maritain/AF, lorsque vint le temps des attaques personnelles, spécialité des intégristes, le reproche de "mariage juif" de la part de Maurice Pujo en ce qui concernait Maritain, a certainement dû éclairer ce dernier.

Corçào ne s'aventure plus franchement sur ce terrain ; néanmoins, on rencontre une ou deux allusions équivoques, gratuites, d'un Maritain "choyé, entouré par deux magnifiques représentantes du beau sexe" ; tant il est dans la nature d'un intégriste de pointer de scabreuses potentialités allusives là où d'autres ne voient rien. Sur ce chapitre, Corçào ne prolonge pas en revanche son enquête du côté de la vie à Munich d'un certain cardinal nonce. Les nazis en effet, surtout en 1937, pour faire

pression sur l'Eglise, lançaient des procès pour moeurs contre des ecclésiastiques. L'historienne des deux guerres mondiales et du communisme, Annie Lacroix-Riz, très active dans le débat d'idées, relève brièvement au passage : ""les service de sécurité nazis" détenaient des détails sur "certaine parties fines du temps de Munich" impliquant Pacelli et les siens, dont la célèbre "soeur Pascalina", sa compagne depuis sa nonciature munichoise, et Spellman". Son travail portant sur les archives et ces procès relevant d'une opération politique, il était de son devoir d'historienne de le mentionner (Le Vatican, l'Europe et le Reich, Armand Colin ed., 2010, p. 328).

On peut deviner qu'il était de l'intérêt des nazis et de la papauté qu'en France, l'AF soutint quelque forme d'alliance nazis-papauté contre l'épouvantail URSS. Que la peur de certaines révélations compromettantes ait partiellement joué quelque rôle dans l'encouragement à ces alliances n'est donc pas à exclure, même si le moteur principal demeurait évidemment politique. Comme de juste, cette année 1937, la poursuite d'un rapprochement papauté-AF prit une tournure décisive, par la médiation qui monta d'un cran du Carmel de Lisieux. Corçào à ce sujet était-il bien informé sur les épisodes rocambolesques de cette médiation ou a-t-il feint de les ignorer ? Quand on le lit, le dialogue entre Pie XI et Maurras paraît celui de deux saints, parfaitement sincères, aux desseins et intentions tout aussi purs. On peut se reporter à notre article, page 2 du site www.cahiersresurgences.eu, sur le Carmel de Lisieux : la réalité est tout autre. Pour commencer, la droiture de conviction du martégal sort très écornée de cette aventure normande. Si son athéisme avait été sincère et droit, il n'aurait pas dû accepter le principe même d'un dialogue pour le convertir. Il l'a probablement envisagé comme une conversation qu'il pourrait tourner en manipulation politique. Se disait-il par devers lui : oh ! une bonne soeur, une femme... La légende ne le précise pas. C'est qu'en effet la guêpe n'était pas si folle, si cruche...


Attardons-nous à présent sur un plan doctrinal. Page 307, Corçào rapporte une note du Paysan de la Garonne, donc aux alentours de 1965 : ""La date de la fondation de la revue Esprit en France (1932), et, à peu près à la même époque, celle du Catholic Worker aux Etats Unis, peuvent être regardées comme marquant, au moins symboliquement, le point de rupture qui annonçait la fin de cette confusion."" L'écrivain brésilien dit n'en pas comprendre le sens, la destination puisque pour lui, il serait prouvé au contraire que la crise, la confusion commencerait justement en l'année 1932 à cause d'Emmanuel Mounier et des progressistes. En dehors même de la question de la nature de la crise sur laquelle il n'y a pas accord, Corçào ne semble pas se rendre compte que la crise n'est pas la confusion et vice versa. Dans ce cas précis, la confusion parvenue à son terme est la confusion dans la possibilité de comprendre, de cerner la nature de la crise et de pouvoir y élaborer des réponses. Or, pour Maritain, la fin de cet aspect précis de confusion date, en tout cas en l'état 1965 de son introspection, de l'année 1932 de par le niveau d'approfondissement philosophique et théologique atteint de cette crise et de par la mise à disposition de certains moyens d'agir. Corçào s'étonne plus loin de cette attribution de fin de confusion pour l'année 1932 parce que Maritain a posé par ailleurs que la crise avait provoqué "une complète temporalisation du christianisme". La fin de la confusion due à la crise impliquait-elle obligatoirement la fin de la crise ? C'eût été trop beau... On pouvait l'espérer ; sans doute était-ce le cas de Maritain? En tout cas, il a dû garder la conscience de potentialité offerte à un moment précis de la configuration générale mais malheureusement demeurée sans suite.

La date de 1932 n'est pas seulement celle de la fondation de deux revues, dont la revue Esprit qui aura un rayonnement si important, c'est celle de la publication, après d'autres ouvrages importants, d'oeuvres majeures de Jacques Maritain : Du Régime Temporel et de la Liberté (1933), Les Degrés du Savoir (1932), et le lancement de la préparation d'Humanisme Intégral qui sortira en 1936. Pages 351-356 de son ouvrage, Corçào note une inclination importante, à son sens, du discours de Maritain entre Du Régime... et Humanisme Intégral. A la lumière des brèves citations qu'il en donne, nous ne remarquons rien illustrant quelque rupture doctrinale dans les analyses de Maritain. Corçào est tellement obsédé par le socialisme et le communisme qu'il accorde à coup sûr une importance exagérée à des inclinations nouvelles parfaitement explicables (en 1936, guerre civile en Espagne et Front Populaire en France). Dans Du Régime Temporel..., Maritain porte abondamment sa réflexion sur les conséquences de la Réforme et de la Renaissance et de la nécessité d'une rupture avec elles. Il n'y avait peut-être pas lieu pour Maritain d'y insister à nouveau dans Humanisme Intégral mais plutôt de prendre en compte de nouvelles informations.

Notre brésilien, à notre avis, se montre désinvolte p. 352, sur "l'idéal historique de "Nouvelle Chrétienté" pour combattre les illusions de la Renaissance" ; ce qui montre chez lui une absence de véritable compréhension de l'esprit de Maritain, ses espérances et desseins. Il n'était plus lié à l'AF. Toutefois, même du temps où il l'était, on voit bien au dessein et au contenu de ses recherches publiées, de ses articles, ce que tout un chacun pouvait constater, que Maritain oeuvrait dans une direction se projetant bien au-delà de l'AF et qui l'occupa pour l'essentiel après les années 1930. Qui plus est, cette direction projetée ne correspondait-elle point à des tendances nouvelles, des nouveaux brassages d'idées de cette époque de fin des temps, de fin de l'Histoire ? ce que nous appelons le mouvement du Pèlerinage aux Sources, de la révolution spirituelle. Lanza del Vasto allait publier en 1943 son Pèlerinage aux Sources. Notre brésilien qui a bien noté p. 307 la présence de Nicolas Berdiaev aux Cercles Thomistes de Meudon dans une réunion consacrée à la fondation de la revue Esprit : "Berdiaev à cinq heures dit : "des choses intéressantes sur l'état actuel de la philosophie soviétique"" ; notre brésilien aurait pu remarquer que cette nouvelle chrétienté contre la Renaissance, qu'il trouve d'ailleurs "hégélienne", avait tout lieu de rappeler une précédente avancée vers la fin de l'Histoire : la publication du "Nouveau Moyen Âge" en 1924 de ce même Nicolas Berdiaev, ami des Maritain.


L'année 1932 et Jacques Maritain ne nous rapprochent pas seulement de Nicolas Berdiaev : Aldous Huxley, en 1932, sort son livre si prophétique, au succès foudroyant, Brave New World, Le Meilleur des Mondes, dont l'esprit et le contenu sont si proches. Toujours en 1932, Ernst Jünger sort Le Travailleur, tournant à partir duquel sa pensée va de plus en plus s'infléchir du côté du Pèlerinage aux Sources, du "recours aux forêts", à "l'anarque". Le philosophe Martin Heidegger poursuit également un chemin similaire qui va l'amener bientôt à se confronter avec le nazisme (1933). Curieusement, il se trouve dans la démarche de ce dernier quelque parenté avec celle, précédemment, de Maritain en France avec l'AF, c'est-à-dire d'avoir senti crédible, pour faire advenir la grande rupture philosophique, d'envisager quelque alliance provisoire avec des révolutions plus superficielles de type nationaliste. Il ne lui faudra guère plus d'une année pour déchanter du nazisme, démissionner de son poste de recteur et commencer à le critiquer. L'historien de l'Allemagne et du nazisme, très présent aussi dans le débat d'idées, Johann Chapoutot, évoque ce fait dans son ouvrage Le Nazisme et l'Antiquité (PUF ed., 1ère édition 2008, 6ème tirage 2022, p. 214) où il rapporte la tenue d'un séminaire important en 1937 par Heidegger : "la menace qui pèse sur la science".

Le propos d'Heidegger est à mettre en relation avec son ouvrage Introduction à la Métaphysique publié en 1935, ce qu'il dit sur l'Europe (p. 50 de l'édition Tel/Gallimard, 1967) ; on y voit aussi les convergences, avec les mêmes thèmes et préoccupations de l'autre antimoderne et anticartésien Jacques Maritain, ou avec Aldous Huxley.


Il faudrait citer également l'influence de Gandhi, de Tolstoï, Dostoïevski, de théologiens orthodoxes : Vladimir Lossky, Justin Popovitch, Jean Romanidès..., des rencontres oecuméniques, les cercles de Meudon, etc. : tout un mouvement de renaissance prenait forme, fortement lié à l'inquiétude des peuples sur la fin des temps, de l'Histoire, par exemple le message de la Salette. Aurait-il pu ébranler les certitudes cléricalo-positivistes et nationalistes de l'AF ou de la révolution conservatrice allemande par les ponts Jacques Maritain ou Martin Heidegger ? Une autre guerre spirituelle se déclencha en fait par le biais de la condamnation papale en 1926 de l'AF et par d'autres événements ; ce genre de guerre transversale entre peuples et fausse mystique. Corçào évoque p. 401 : "(ces) dimensions effrayantes nous empêchant de voir les véritables courants historiques qui s'agitaient dessous".



Guerre transversale, cachée derrière des conflits plus spectaculaires : Jacques Maritain dut encore le supporter de la part du nouveau pape Pie XII qui ne se priva point de mettre en garde le philosophe contre le Message de la Salette, lequel n'aurait pas été reconnu par ses prédécesseurs. Maritain, défenseur de la Salette, dut reprendre le dossier (voir aussi nos articles p. 1 de ce site : Antimondialisme Orthodoxie Illuminati).



NB : Pour la bonne bouche, signalons brièvement deux incongruités de Corçào dans son désir forcené d'attaquer le communisme et de détourner l'attention de toute complaisance possible du Vatican et de l'AF à l'égard du nazisme. L'encouragement au désarmement, la croyance en la sincérité d'Hitler ne devait venir que d'un seul côté. Corçào cite donc d'abord un propos d'Emmanuel Mounier sur Hitler p. 112 ; il y revient p. 338 : "il plaidait la pureté diaphane des intentions d'Hitler...". Corçào reconnaît cependant quelques lignes plus loin : "Un an plus tard, les rédacteurs d'Esprit feront volte-face, tentant de rétablir un patriotisme subitement (re)découvert par André Malraux dans les colonnes de l'Humanité. De par cette citation, notre Brésilien attribuait l'ambiance de désarmement à Mounier et ses amis. A son tour, il ne cite pas une seule fois ce que pensait l'AF à la même époque et même bien auparavant ; entre autres le si perspicace Jacques Bainville : "Pourvu que ça dure, ce qui se passe en Allemagne est une bénédiction. Résumons la journée d'hier. Dans la nuit, la nouvelle du coup d'Etat de Munich était arrivée. Dans la matinée, les dépêches de Berlin apprennent que, s'il le faut, la Bavière sera mise au ban de l'Empire. Vers le soir, d'autres dépêches disent que von Kahr ne s'accorde plus avec Hitler et Ludendorff, et les Bavarois sont près de se battre entre eux. (...) Tous ces événements sont confus, mais c'est cette confusion qui nous est précieuse. Elle est un excellent signe (L'Action Française, n° 313, 10 novembre 1923, p. 1) ; ça a duré, en effet pour l'AF.

Pour plus d'information, on peut consulter aussi la préface de Thierry Maulnier écrite en 1933 au livre Le Troisième Reich de Moeller van den Bruck. Il y confie son admiration et son attirance pour la jeunesse hitlérienne. L'historien Philippe Prévost, dans son ouvrage Le Temps des Compromis, Mai-Décembre 1940, fait le récit des tentatives de négociation entre Hitler et les Anglais, etc. Un autre historien, Eric Branca, a aussi étudié les liens entre l'Angleterre et les nazis.

Enfin, si Corçào analyse abondamment l'encyclique Divini Redemptoris contre le communisme, il ne semble pas avoir même mentionné le nom de l'encyclique Mit Brennender Sorge contre le nazisme. C'est peut-être aussi bien pour lui. L'historienne Annie Lacroix-Riz, dans son ouvrage déjà cité ( Le Vatican, l'Europe et le Reich ), p. 351 et suivantes, évoque les "Apparences et réalités de Mit Brennender Sorge", encyclique qui condamne certains maux sans les désigner :

 "A la fin d'une vingtaine de pages, on ignorait toujours qui harcelait les "évêques d'Allemagne" et leur troupeau, et au nom de quelle idéologie. "Condamnation (...) anonyme" et "euphémismes", résuma François Poncet : "à aucun moment, Pie XI ne cite le nom des dirigeants du Troisième Reich. Il évite même, par un excès de tact, de parler du national-socialisme et des nationaux-socialistes"".

Annie Lacroix-Riz poursuit dans la carence de diffusion de cette encyclique dans le public : impact nul, il ne s'agissait que de donner le change. On ne sera pas non plus étonné que dans son ouvrage, Corçào minimise tant qu'il peut le rôle militaire de l'URSS dans la seconde guerre mondiale.




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